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de la bourgeoisie qui pâture sur son vieux champ qui s’épuise. Je le vois livré par les bêtes de cirque de l’intelligence et par les chiens de la presse au cou pelé. Je vois cette rafle du monde si foudroyante et si démesurée, dans l’asservissement des années de guerre et dans le désarroi qui a suivi, que les indignes conquistadores, dont presque pas un ne dépasse le niveau de la malhonnête médiocrité, ont été pris de court par leur victoire, et n’ont pas été capables de l’organiser. En quelques années, ils n’ont su que bouleverser l’économie mondiale, dont la boussole est affolée, accumuler des montagnes d’or et de richesses en nature inutiles, — plus qu’inutiles, dévastatrices, — sur les deux continents ruinés. Je vois la guerre, partout les guerres, en préparation ou en action, sous le couvert de la sinistre bouffonnerie de Genève : la Société des Nations. Je vois, sous la farce honteuse du Désarmement, le monstrueux accroissement des budgets de guerre, même chez les nations saignées à blanc, qui ne consacrent pas le dixième des ressources qui leur restent à l’entretien de leur maison, aux travaux publics, au pain des chômeurs, à l’instruction. Tout ce qui fait vivre, tout le sang des autres, coule à la destruction : tout aux canons !… Je vois partout la destruction des valeurs vitales, — le blé brûlé dans des pays où des millions d’êtres meurent de faim… » (Et cette pensée, qui jette Marc dans une révolte exaspérée, effleure à peine l’indifférence ahurie des milliers de braves gens trop égoïstes et insensibles pour réagir contre ce qui n’écorche point leur précieuse peau.) « Je vois partout les fascismes utilisés ou tenus en réserve, comme protection de l’ordre injuste. Je vois l’épouvantable immoralité de l’état du monde, qui n’a d’égale que sa criminelle insanité. »

« Et cet état ne tient pas à quelques individus ou