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der. Il voyait trop le sang versé, et ses belles mains ne voulaient pas s’y tremper. ( Elles avaient dû fouiller dans les décombres de la ville écroulée et dans les débris de chair empestée. L’odeur atroce lui en restait au bout des doigts…) Aussi bien savait-il qu’on ne pouvait plus rien empêcher ! La fatalité sociale est aussi aveugle et inéluctable que les terremoti… Ce sens trop net du fatal, ce trop savoir, pèse sur l’action des intellectuels, même les plus libres et les plus braves. Ils sont comme des spectateurs qui ont lu d’avance la pièce qui se joue : elle se joue sans eux, et les acteurs n’en sont qu’au nœud, quand eux en sont déjà au dénouement.

Marc en était encore au nœud ; et le vert de l’action le passionnait plus que le fruit. Il aimait mieux les mains de Assia, qui ne craignaient pas de s’y salir les ongles, que les mains trop blanches de Bruno. Tout ce qu’il voulait de ses grands aînés, c’était de savoir s’il se trouvait sur la bonne route — la route royale du grand Destin. Et cela justement, ils pouvaient le lui dire, ils le lui disaient : — « Via Sacra… » C’est la grand’route, droite et directe, des légions. Elle mène au but, par les combats. Et les deux hommes, Julien, Bruno, étaient d’accord pour ne pas ébranler la vigueur d’âme et de jarrets du jeune combattant. C’était sa voie. C’était sa loi.

La loi de Marc l’entraînait hors de son clan… — Pouvait-on dire qu’il fût d’un clan ? Il en était ! Il était un homme de l’Occident, il aimait sa France, sa France d’au nord de la Loire, son ciel bleu pâle un peu cendré, sa terre blonde et rose comme la chair de ses filles, ses horizons, bois et collines, ses rivières aux rossignols, son parler clair, et son sourire de fabliaux. En d’autres temps, il eût été (il le croyait) heureux, comme ces rivières de France, dans leur lit. Mais ces