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voulaient pas en être complices. Aussi, avaient-ils accueilli complaisamment les doctrines de Tolstoï et de l’Asie, qui prescrivaient la Non-acceptation sans violence. Ce n’était pas que leur critique d’hommes d’Europe les convainquit de l’efficacité de cette tactique dans tous les cas. Mais le vrai combat étant, pour eux, sur le champ de l’esprit, l’important était, pour eux, que l’esprit fût sauvé… « Salvavi animam meam… »

Il y avait beau temps que ce n’était plus assez pour Marc ! Même le salut de l’âme des autres ne suffisait plus, si l’on ne sauvait aussi leur corps. Ce misérable corps, cette guenille, cette vie d’un jour, dont parlent, du bout des lèvres, ces « idéalistes », qui n’ont pas trop à s’en inquiéter, car ils ne sont pas si mal pourvus !… — Non ! Le corps, d’abord ! Et nommons-le par son nom, son nom de gloire et de décri : le ventre… Belles âmes, méprisez-le !… Le ventre affamé, le ventre qui fait la vie, le ventre d’où sort l’arbre de Jessé, — la racine… Nourrissez-la !… Vaincre d’abord la faim, la pauvreté, la misère sociale… L’âme fleurira, s’il lui plaît, au bout de l’arbre. Je bêche la terre, au pied de l’arbre, et je la fume. C’est de ce fumier que naîtra le Dieu, ou l’homme-Dieu… — Ni Julien, ni Bruno n’y eussent contredit. Bruno connaissait la rude parole du tendre François d’Assise des Indes [1] : — « Point de religion pour les ventres vides ! » — En fait, il y avait conformé sa vie, puisqu’il s’était dépouillé, pour les remplir, de presque tout ce qu’il possédait.

Mais à cela s’arrêtait sa part d’action sociale. Bruno ne prétendait pas obliger les autres à faire de même. Et si son jugement était assez clair pour voir que le système de compression capitaliste menait forcément à l’explosion, il ne faisait rien pour la hâter ou la retar-

  1. Ramakrishna.