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Ces deux hommes, Julien et Bruno, si courageux et si lucides, n’allaient pas jusqu’au bout de leur action. Ils pouvaient bien être pris, pour une heure, par un élan d’imagination qui les jetait dans la révolte, dans le refus au despotisme ou au mensonge. Et ils restaient, dans leur conscience, des Résistants à l’injustice et au non-sens de l’état social. Mais leur résistance se cantonnait, le plus souvent, au seuil de leur conscience. Elle ne le passait qu’à moins d’être forcée dans ses retranchements. Et même alors, elle ne répondait pas à l’attaque par une contre-attaque ; elle se bornait à y opposer son : « Non ! » indestructible… « Ich kann nicht anders… ». Ils ne travaillaient pas, par tous les moyens, à imposer au monde leur « Autrement ! » ( « anders » ).

Ils appartenaient à cette vieille grande génération d’intellectuels, dont l’activité était intoxiquée par la pensée. Même les plus généreux étaient portés à attribuer à leur pensée une situation privilégiée, qui était trop souvent de tout repos. Quand ils avaient pensé, tout était dit, le monde pouvait danser en rond : ils regardaient. Plus était vaste le champ de leur pensée, plus semblait infime ce petit rond ; il ne valait pas la