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Cet heureux homme — cet homme heureux, malgré que tous les coups du sort l’eussent frappé — n’avait partout qu’à se présenter pour être aimé. « Veni, vici… » Il le trouvait tout naturel. Et chacun le trouvait naturel, comme lui. Tout était plaisir, des deux côtés. On n’avait pas à s’user les dents, comme chez Julien, pour mordre l’amande, à une dure écorce qui vous faisait les gencives amères. L’écorce était, autant que l’amande, bonne à manger. Sans aucun doute, sa légèreté était pour moitié dans son charme, l’autre moitié étant faite d’affectueuse bonté et de séduction naturelle. Il ne projetait point d’ombre sur ses pas. Toutes les peines de la vie se résorbaient dans la lumière de ses yeux bleus et caressants, qui ne pouvaient s’empêcher de se faire avec chacun un peu coquets innocemment. Ce vieux homme enfant, à la barbe douce et fleurie, qu’il flattait comme un dos de chat, de ses doigts fins, avait besoin d’être aimé de tous et d’aimer tous. Cela ne l’empêchait pas de les juger, avec une lucidité qui déroutait, qui pénétrait droit au fond et mettait le doigt sur le point sensible qu’on cachait, mais si doux, si juste, que l’attouchement paraissait une secrète volupté. Et il établissait entre le bienveillant opérateur et l’opéré complaisant des liens d’intimité mystérieuse, dont ils gardaient tous deux la clef.

De tous, la seule qui ne se prêtât point à ce jeu était la dure châtaigne avec des piquants : Assia. Elle n’aimait pas — « de la douceur, de la douceur !… » — les hommes trop doux, les barbes trop belles, les mains trop fines et trop soignées, et ce regard qui s’insinuait comme une caresse au fond du cœur. Elle savait bien qu’il était bon, qu’il était sage, qu’il voyait loin. Mais elle ne tenait pas à cette sagesse, à cette bonté, ni à voir loin… « Je vois de près, je vois mon Marc, bon ou