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Timon. Ces braves gens eussent été bien étonnés — elle aussi, peut-être — si sa conscience, sa vraie conscience, celle qui ne se soucie pas de la moralité, leur avait dit : — « Je suis plus proche d’eux que de vous. » — Plutôt être loup que mouton ! N’importe quoi, plutôt que mouton ! L’horreur obscure, incoercible, pour le troupeau !

Elle l’avait infiltrée, avec son sang, à Marc. Et ce n’était peut-être pas le plus beau legs qu’elle lui avait fait. En tout cas, il ne lui facilitait point la vie. Marc n’avait jamais pu se lier à aucun parti de pensée. De même que sa mère n’avait pu consentir à s’enfermer dans le lit d’un mariage, lui se refusait à emprisonner son esprit entre les draps d’une doctrine. Il ne concevait pas ce masochisme de la plupart, qui s’acharnent à se cadenasser, le dos courbé, déformés, dans des cages à la La Balue ! Qu’avait-il à faire de toutes leurs rixes entre des « ismes » — matérialisme, spiritualisme, socialisme, communisme, etc., etc ! … Ce sont tous des colliers de chiens à l’attache.

Et Assia aussi fuyait l’attache, fuyait les murs qui limitent, fuyait le chenal, le lit tracé, fuyait, fuyait tout ce qui lie, si bien qu’à vouloir trop sauver son moi, elle en arrivait à le perdre, comme un ruisseau qui déborde et qui s’égare à travers champs. À force de courir, il perd sa pente et son courant. Gare qu’il ne finisse en Maremme qui stagne, sans bornes, au soleil !… Et gare à Marc ! Cette petite reine de la fièvre, ce ruisseau sans lit, qu’était-elle venue faire dans son lit ?

Elle avait cherché, il avait cherché, à réaliser ensemble l’isolement à deux, l’individualisme à double tête, comme Janus. C’est l’instinct de vie. Le moi, le moi ! Il a toujours faim. Il faut le nourrir… « Le nourrir de toi. Je veux être toi. Être ? T’avoir ! »… Les deux têtes du Janus ne s’appliquent point nuque à nuque,