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— Elle est à vous », dit Julien. « C’est mon meilleur. »

— « Vous avez eu une belle vie », dit, avec un grave sourire, Annette.

— « Je ne la souhaiterais pas », répondit-il amèrement, « au pire de mes ennemis. »

— « Je ne la voudrais à aucun autre, car aucun autre ne serait digne de la porter. »

— « Qu’en savez-vous ? »

— « Je la connais. Je sais vos luttes. Je vous ai lu. Ce que je n’ai pas lu, je l’ai vu. » (Elle fermait les yeux.) « Je suis fière de vous. »

Il tressaillit :

— « Moi,… tout ce que je suis… tout ce que je suis devenu… Votre œuvre !… Je la mets à vos pieds. »

Annette tressaillit, à son tour.

— « Qu’ai-je fait pour vous ? »

— « Vous m’avez fait. »

Le gouffre de silence se rouvrit. Un torrent chaud d’émotion s’y jetait… George, qui, derrière le mur, tendait l’oreille, se demandait :

— « Est-ce qu’ils sont morts ? »

Annette leva vers Julien, dont le regard était suspendu au sien, comme d’un bon chien, des yeux embués qui rayonnaient ; et tout son visage était rougi par le flot de sang, monté du cœur ; mais pour Julien, ces joues, ce front congestionnés, étaient plus beaux que la beauté. Et elle lui dit :

— « Nous n’avons donc pas perdu notre vie. »

Julien fut près de lui répliquer :

— a A quoi la mienne a-t-elle servi ? »

Mais en regardant la joie d’Annette, il sentit qu’il était un ingrat ; il aurait voulu s’agenouiller devant elle ; son ankylose morale l’en empêcha, et sa disgrâce : il voyait ce vieil homme ridicule… Il balbutia :