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elle en haussait les épaules ; mais il n’y avait rien à faire pour désenchanter George ; et ce n’était pas la peine, puisqu’au bout du compte la vraie Annette l’aimait : George n’en voulait pas plus. Annette avait été prise par l’appel muet, chaud et vrai, de la jeune fille. On ne chicane point ce beau don de soi sans réserves ! Et quant à George, il lui suffisait qu’on acceptât son don. Elle avait besoin d’Annette ; elle était heureuse quand elle était dans la maison, heureuse quand il arrivait que Annette posât la main sur elle, heureuse de respirer le même air. C’était de l’amour, informulé. Car elle n’était pas très intelligente, elle ne connaissait pas son monde intérieur. Elle était comme l’expression, qui s’ignore, de la nostalgie qui possédait, quand elle naquit, son père songeant au pays perdu. Mais la nostalgie était, en George, assouvie. Elle avait retrouvé le pays.

Son égoïsme satisfait en oubliait le délaissé à son tour, — son père qu’elle ne voyait plus que le soir, au repas, négligemment, et qui la sentait, même en face de lui, absente : elle avait hâte d’avoir mangé, pour repartir, ou s’enfermer, et elle cuvait ses journées. De son cabinet de travail, il l’entendait rire, seule, et se parler.

Ce fut Annette qui demanda que George lui amenât Julien. Mais Julien accueillit froidement la demande. Il était, au fond du cœur, bouleversé. Par une disgrâce de sa nature, qui tenait autant à ses faiblesses qu’à ses qualités, — à sa pudeur de sentiment, à sa fierté, à son humilité : (les deux contraires sont fréquemment associés) — Julien était dans l’incapacité presque totale d’extérioriser ses sentiments les plus forts. Plus il avait d’amour ou d’émotion, moins il le montrait ; il se congelait. Il était le premier à en souffrir. C’était