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Mais ils avaient atteint tous les deux au même niveau, ou peu s’en faut ! Et ils échangeaient un regard d’entente fraternelle.

Leur dialogue était souvent interrompu — illuminé — par la présence de George. Elle était alors dans le rayonnement de ses dix-huit ans heureux ; et elle s’était éprise du vieil alpiniste : — car c’était surtout sa prouesse sportive qui l’avait fascinée. Et comme il avait vu chez elle cette joie saine et sans souci, de l’athlétisme, de l’action physique et de l’aventure, il se plaisait à lui conter ses voyages au Thibet, — laissant de côté tout ce qui s’en rapportait à ses recherches de pensée. Il restait des heures à bavarder sur ces sujets, qui laissaient Julien indifférent, — le vieux Bruno aussi heureux, enfantinement, de conter que la jeune fille d’écouter. Il contemplait avec tendresse ce rond visage jeune et joyeux, cette belle peau ensoleillée, le ferme tissu de ces bras, de ce cou, de ces joues, ces yeux brillants où pas une ombre intellectuelle ne passait, pas un chagrin, pas une crainte, — rien au delà ; mais cela qu’on tenait, c’était le monde, c’était assez ! Comme pour l’univers des anciens, « finis orbis terrarum… » Passé les Colonnes, c’est Calypso. Restons en deçà, avec Nausicaa et Pénélope !… Il l’appelait : « Mare nostro… », Méditerranée… Et sur sa bouche de fruit, rouge et dorée, non fardée, il retrouvait, avec douceur et mélancolie, comme dans le mirage d’un rêve attendri, le sourire insouciant et ravi de la jeune belle-sœur qui chantait la Belle Meunière de Schubert et la berceuse du petit ruisseau, au dessus du gouffre de Polyphème.

Or, un certain jour que tous les trois, Julien, George et Bruno, à table, ils causaient, Bruno vint à parler de cette femme, de cette Française, qu’il avait jadis rencontrée sur les chemins — il aurait pu dire : sur les