l’attendre, non sous l’orme, mais à la porte de ses W.-C. d’où il sortit par un œil-de-bœuf sur l’escalier : (il était, à cinquante-six ans, leste et souple comme un gymnaste). Il traversa, comme en promenade, sans se presser, la ville du Piémont où ses affaires et la police l’avaient longtemps retenu, — il continua, hors de la ville, du même pas tranquille et preste, le jour, la nuit, sans s’arrêter ; et quand s’éleva devant ses pas le mur des Alpes, il y grimpa.
Ce fut ici que son expérience du Thibet lui servit. Il connaissait assez bien la région, et il avait une carte d’état-major ; mais il était fort mal équipé pour une course de glaciers, au commencement de l’hiver : car, au lieu de prendre l’issue la plus aisée qui, naturellement, était une souricière, il s’en fut droit au plus périlleux : le passage du Saint-Théodule. Il trouva heureusement des complicités chez des montagnards de la vallée qui, sans avoir l’air de comprendre, lui fournirent des souliers ferrés, des cordes, un pic, une houppelande de berger, et un petit guide jusqu’à mi-chemin. Il n’en fut pas moins très en danger ; car en voulant éviter les guetteurs fascistes à la frontière, il erra dans les neiges, et se perdit. Il dut passer une nuit contre une paroi de glace au dessus de l’abîme ; il eût gelé, s’il n’eût tiré parti de ses pratiques de « toumo » thibétain, qui, par leur mécanisme psychophysiologique, enseignent à stimuler la chaleur interne, et dont le grand ascète poète Milarepa a éprouvé et chanté les vertus. Il arriva, harassé, hérissé de glace, des stalactites aux sourcils et une banquise dans sa barbe, à un refuge, sur territoire suisse, où il trouva une flambée de bois et une boisson chaude, que lui préparèrent des chasseurs de chamois. Ce fut alors qu’il réalisa la pleine conscience du froid mortel qui l’enserrait d’une carapace et contre lequel depuis quinze heures