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— « Mais caro mio, n’est-ce pas l’Évangile qui nous a dit qu’ « il faut perdre son âme, pour la sauver ? »

Car Bruno avait dû se résoudre à sortir de son chantier de travail, et à venir à Rome, pour défendre son œuvre et les siens. Et une fois sorti, il fut le témoin de la lutte atroce qui dévastait et flétrissait alors des milliers de consciences italiennes. Il ne pouvait plus s’abstenir de voir, de juger et de parler. Les circonstances firent même qu’il assista aux violences commises contre un de ses anciens compagnons d’armes, médecin, grand blessé, décoré, respecté, qu’une bande de jeunes chenapans assaillit, insulta, piétina sauvagement dans la rue. Après avoir reçu sa part des coups, — car il était, naturellement, intervenu, — il alla en justice déposer pour lui, malgré les menaces et les cris de mort, que de la salle on entendait mugir au dehors. On peut penser qu’il n’en parla pas plus timidement ! Il racontait plus tard en riant, que contre ces « Houm » [1], ces démons noirs (chemises noires et noires âmes), il s’était senti pousser aux épaules des ailes rouges de révolutionnaire. De défenseur, il se mua en accusateur. Il mit en cause le tribunal même et la police, qui autorisaient cette violence faite à la justice et à la liberté du témoignage. Et sa figure imposante, son grand nom, ses accents — (il s’était découvert, disait-il, dans le gosier une voix de ténor de la Scala), — confondirent, pour quelques minutes, l’assistance. Le ministère public s’excusa piteusement ; et le silence fut imposé, au dehors. Mais le comte Chiarenza le paya.

— « Et, » disait-il, en plaisantant, « ce fut bien fait, pour me rappeler à la sereine indifférence dont je me

  1. Les « Houm », en thibétain, sont les noirs habitants des purgatoires.