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brutaux, habitués à ne rien ménager, le tolérèrent cependant, décontenancés par son désintéressement insoupçonné. Ils imaginaient que, des millions lui passant par les mains, selon l’excellente habitude des philanthropes de profession, il lui en restait aux doigts une provision. Il ne restait rien aux mains blanches (plus si blanches depuis qu’elles maniaient la pelle ou la truelle) du comte Chiarenza. Il avait achevé de se ruiner, au service de sa vaste famille d’affamés. La place était, en vérité, sans profit. Elle ne tentait plus personne. — Mais à défaut de lucre, l’esprit de violence et de tracasserie ne pouvait longtemps laisser en paix ces équipes de bons Samaritains, qui ne songeaient qu’à panser les blessures, au lieu d’en faire, — ce qui est, paraît-il, la marque virile des hommes vraiment hommes, de ceux qui font les guerres et les Révolutions, l’ordre nouveau ou le vieux-neuf, — ou qui le défont. Si l’on ne s’attaqua point personnellement à lui, que protégeaient à son insu certains dignitaires du nouveau pouvoir, (un intelligent et sceptique philosophe, qui dirigeait l’Instruction publique, et qui goûtait, non les idées, mais le style harmonieux des écrits du comte Chiarenza), on persécuta ceux qui s’inspiraient de son exemple et exécutaient ses instructions, les instituteurs et institutrices qui se vouaient au dur apostolat de relever ces populations abandonnées : on prétendit les obliger à des signatures et à des serments de servitude politique, qui répugnaient à leur conscience, envers le nouveau despotisme, installé sur les ruines du Statut, par la trahison de celui-là même qui s’en était constitué le gardien. Pour ces hommes et ces femmes de foi, la conscience n’était pas un jeu, comme pour ce ministre Gentile, qui répondait, ironique, au comte Chiarenza, venu pour protester contre la violence faite à l’âme de ses disciples :