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au cœur de l’homme. Il vit au fond et il toucha la Douleur et l’Erreur de la civilisation d’Europe, la catastrophe suspendue sur l’Occident, et la ruine.

Il se mit en marche, à la fin de juin 1914, quittant son ermitage himalayen, redescendant vers les plaines du Gange : car il avait senti sous ses pieds gronder la terre ; et il allait au devant de la guerre, que bien peu, à cette heure encore, en Europe, voyaient venir. Il la rencontra, à Calcutta : il y apprit la déclaration officielle du Massacre, par une affiche, dans une rue où s’égouttait une rigole de sang de chèvres, égorgées, de dessous la porte d’un temple de Kâli. Il s’embarqua pour l’Europe. Car l’intensité de sa concentration solitaire lui avait révélé, comme l’étreinte de deux corps qui se pénètrent accouplés, sa foudroyante Identité avec tous les vivants, que l’égoïsme de son deuil avait longtemps refusé d’accepter. Et il voulait prendre sa part de l’épreuve des hommes.

Il savait le néant et le crime de cette guerre ; malgré la voix secrète de son sang latin et ses sympathies pour la France, il s’efforça de retenir son peuple en dehors du carnage. Mais le peuple n’était pas consulté. Et quand il se trouva jeté à l’abattoir, le comte Chiarenza l’y suivit. Il s’engagea dans le service sanitaire, organisa une ambulance, et s’y dévoua. Il se trouva aux endroits les plus exposés, dans les missions les plus ingrates, en Albanie, en Macédoine, accompagnant dans leur retraite désastreuse, ou dans leur croupissement aux tranchées, des troupes de son Mezzogiorno, que dévastaient le typhus exanthématique et la malaria. Il communiquait son calme des profondeurs à son personnel, sous les obus, et aux sauvages paysans de la Basilicate, à l’agonie : — car il ne considérait pas sa tâche comme terminée, lorsque la vie était perdue : c’était alors que la vraie tâche commençait ; il les