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cachait. Il s’appliquait secrètement à y porter le fer, à la brûler. Il se forçait à rentrer dans la compagnie des hommes, à leur sourire, à les aider. Mais il ne pouvait vaincre son éloignement. Et il ne réussissait pas toujours à le dissimuler. Certains yeux en avaient saisi l’éclair glacé. Alors, il ne pouvait que contraindre l’esprit à l’acte, sans la joie chaude de l’amour. Il faisait le bien, des torrents de bien, par signature et par procuration. On n’avait pas à l’en remercier. Il se déchargeait comme d’une dette qui lui pesait ; et mentalement, il disait à ceux dont la créance était acquittée : — « Et maintenant, que je ne vous voie plus ! » — Il lui fallut longtemps encore avant d’être réconcilié avec le visage de l’homme. Il lui fallait que se réveillât de la tombe le petit Dionysos.

Le soleil d’hiver durait encore. Il dura des ans. Le comte Chiarenza les occupa dans l’étude et les longs voyages. En approfondissant ses vieux sages, il fut amené par l’étoile de Pythagore et d’Empédocle à l’Orient. Il avait déjà une teinture de connaissance du sanscrit. Il compléta son instruction philologique ; et le restant de sa fortune lui permettant les expéditions lointaines, il fit dans l’Inde et au Thibet des séjours de plusieurs années. Entre 1911 et 1914, il disparut. Où il était et comment il vécut, on ne le sut jamais exactement. Il faisait le silence sur cette période, où il errait sans doute, en pèlerin et en mendiant, sur les hauts plateaux d’Asie, ou s’enfermait, pour de longs mois, dans la concentration initiatique de quelque monastère lamaïque. Si retiré qu’il fût du monde vivant, on peut croire que ce fut alors qu’il puisa l’étonnante pénétration qu’il en manifesta par la suite. Dans cette lumière des sommets, son regard d’oiseau solitaire se lava des larmes et des poussières, s’aiguisa, comme le couteau sur la meule, et, comme le couteau, s’enfonça