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seule en était le témoin ; le sang des blessures s’y engouffrait, et la victime, couchée sur le dos, sans un mouvement, pressant son cœur avec ses mains, offrait son sang en sacrifice à la céleste Harmonie, dont il était un accord poignant. Et quand le jour revenait, le jour indifférent éclairait aux yeux des hommes, non la douleur de passage, mais l’Harmonie.

L’anéantissement total de sa race avait accumulé en ses mains toute la fortune de sa race. Elle lui pesait. Il n’eut pas de peine à en trouver l’emploi. C’était l’époque où l’Italie avait fini par découvrir la barbarie innommable où depuis des siècles croupissait, abandonné à lui-même, son malheureux Mezzogiorno. Toute une génération généreuse s’était vouée à l’effrayant problème, presque insoluble, d’arracher à la mort qui la rongeait, cette terre putride et sauvage. Le Parlement même, — les parleurs, — à défaut d’actes, avaient fait des lois pour lui venir en aide. Et l’initiative privée, suppléant à l’insincérité de l’État, créait des œuvres de secours et de reconstruction, en Basilicate et en Calabre. Le comte Chiarenza y versa la plus grande part de sa fortune, la distribuant en fondations de dispensaires, d’orphelinats et d’écoles.

Mais c’eût été lui en faire un mérite injustifié — (et il eût été le premier à le repousser) — que d’en rendre hommage à son cœur. Il n’était pas encore né à la fraternelle charité. Depuis la catastrophe qui lui avait pris tous ses vivants, il gardait une rancune sourde, aveugle, inavouée, pour ceux qui vivaient encore. L’illumination même de l’esprit n’avait point réussi à guérir cette plaie infectée. Il en avait honte, il la