Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/280

Cette page n’a pas encore été corrigée

que son besoin d’aimer, son instinct vital, avait étreint. Ils faisaient plus : dans la demi-hallucination qu’engendrait dans son cerveau de poète, ébranlé par la convulsion, cette lumière de mirage, l’enfant lui était l’image même du petit Dionysos ressuscité ; et tel il le vit, un soir, soudain, tel que le peint l’hymne homérique, assis « sur le bord de la mer inépuisable, à l’extrémité saillante d’un promontoire, sa belle chevelure noire flottant sur ses épaules » qui s’enveloppaient frileusement d’un haillon rouge, et « souriant », fiévreux, « de ses yeux noirs ».

Avec l’éblouissement de la vision, rentra en lui l’anxiété. Car le jeune dieu, « le dieu souffrant », ne devait-il pas mourir encore ? Il apercevait, trop tard, sur le pâle visage de l’adolescent, qui frissonnait au soleil, l’ombre de l’aile de Méphitis, reine de la Fièvre. Il n’avait pas eu la prudence d’arracher radicalement la plante malade à cette terre empoisonnée, de l’emporter au loin, au Nord, dans un autre air, sur une autre terre. Il s’était contenté de l’éloigner, de quelques lieues, des champs mortels, et de monter sur les collines, un peu au loin, un peu au-dessus. Il ne résistait même pas à la dangereuse fascination de redescendre souvent avec lui, dans la zone magique des ruines au bord de la mer. Qui a entendu une fois la voix des sirènes a bien de la peine à s’en détacher. On a beau être averti, comment n’être pas toujours repris par l’appel de ces oasis dans le désert, de ces ombrages luxuriants, entre lesquels rit le regard de l’eau vagante et sans cours, — cette quiétude ensorcelée, cette fleur des reflets du ciel et de la mer ? Quand il le vit, le mal était fait, l’arrêt signé. Il n’était plus temps d’en appeler. L’eût-il été, d’ailleurs, un an plus tôt ? Dès sa naissance, le petit dieu était condamné. Des milliers de jours, des milliers de nuits, le poison