Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/279

Cette page n’a pas encore été corrigée

royaume — et les Titans. Pour cet enfant, que ni l’école, ni l’Église n’avaient été pêcher dans son marais fiévreux, Christ était resté un « forestière » (un étranger ) ; il n’avait appris sa mort que par les cloches de là-haut, sur les collines : c’était un riche ! Il le respectait, mais de loin, sans l’avoir fréquenté. Et pour Bruno, dont le catholicisme pratiquant, jusqu’à la veille de la catastrophe, était aimable et à fleur de peau, la terre soulevée de Messine l’avait, d’un coup d’épaule, renversé avec son palais : il n’en restait plus que décombres, sur lesquels avait soufflé pendant des mois le vent furieux du désespoir. Dans les premiers temps qui avaient suivi, il haïssait le Dieu en qui il avait cru. La place était libre pour d’autres dieux. Et les grands mythes, qui sommeillaient dans sa pensée de noble érudit Trinacrien, ouvrirent les yeux, à la lumière Tarentine, où ceux du jeune Zagreus Dionysos, roi des mystères, avaient fleuri. Sans en être dupe, comme pouvait l’être l’enfant qui l’écoutait, Bruno était frappé, en les contant, de leur symbolisme divinateur et de la concordance qu’ils lui révélaient avec la chaîne implacable du destin qui l’accablait. Et comme il n’était pas, lui, le Sicilien éclairé, beaucoup moins superstitieux que l’enfant, il ne tarda pas à s’enivrer de la fumée de ces rêves, que le soleil faisait monter de cette terre des fantômes, avec les odeurs fades et sucrées de l’eau dormante à fleur de sol. Sa ville détruite lui évoquait les convulsions de Typhœus, écrasé sous le poids de l’Etna ; et la férocité des Titans qui avaient traîtreusement saisi l’enfant Dionysos, qui l’avaient mis en pièces et dévoré, se confondait avec l’aveugle fureur des éléments qui avaient anéanti tout ce qu’il aimait, tout ce qui, dans l’égoïsme de sa douleur, était la Vie… Mais cet amour, mais cette vie renaissait. Ses yeux de visionnaire les retrouvaient en cet enfant,