— « Pourquoi, pourquoi, m’avez-vous sauvé ?… »
Le lendemain, il ne sanglotait plus, il n’avait plus une larme. Le visage ravagé, mais calme, il se fit raconter tous les détails recueillis par les témoins. Il avait été retrouvé, lui seul, à demi enfoui, au rebord des décombres. Tout le reste formait un monceau. On n’avait pas les moyens d’y fouiller. Les bras manquaient. Toute la ville était ruinée. Les quelques centaines de survivants étaient livrés à une panique bestiale, où l’aiguillon de la mort irrassasiée (la terre continuait de gronder et l’on entendait, d’heure en heure, les dernières ruines s’ébouler) faisait sortir du ventre de ces damnés la luxure et la cruauté. Un peuple était sous les ruines. Et sous les ruines était Dieu. Mâles et femelles, ceux qui vivaient, les âmes mortes, s’accouplaient sur et sous les autels. Les premiers secours qui arrivèrent par la mer, suivirent le sac atroce par les barbares. Car une heure à peine était passée depuis la catastrophe, que des bandes de rapaces s’abattaient sur les morts pour les piller. Et des montagnes descendaient des peuples d’écumeurs de ruines, depuis des siècles montant le guet autour des écroulements des cités, comme naguère sur nos côtes de Bretagne, ceux qui guettaient les naufrages. Mais par bonheur, Bruno n’en apprit rien que plus tard. C’était assez pour lui de tenir tête à la férocité de la nature.
Il ramassa toutes ses forces. Il décida de retourner sur les lieux du désastre. Aucun espoir ne restait. Trois semaines s’étaient écoulées. Mais il voulait voir et toucher… Ah ! qui peut dire ?… La Madeleine, qui a vu de ses yeux la mort du Maître, et de ses doigts qui a touché son corps refroidi, le lendemain elle revient le chercher vivant, et elle trouve le Jardinier… Qui trouverait-il sur les décombres ?… On s’efforça vainement de l’en dissuader. Il était encore immobilisé dans