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et pure de rossignol ; et le comte Bruno, les yeux fermés, la savourait amoureusement. La jeune fille le savait : elle le couvait des yeux, en chantant. Leur tendre flirt n’était un secret pour personne ; et personne ne songeait à s’en scandaliser. Même l’épouse et sœur en souriait. Bruno était l’enfant gâté ; chacun trouvait naturel que par chacun il fût aimé ; et il le trouvait, tout le premier. Il n’en était pas infatué. Il les aimait tous, et tous l’aimaient. Ainsi, tout le monde était content. Sa petite fille Sibylle, qu’il avait ainsi nommée en mémoire de la dernière charmante reine normande, sa cadette préférée, était assise près de lui sur un tabouret, et, la joue posée sur ses genoux, elle regardait le papa aimé, dont les paupières s’entr’ouvraient pour lui sourire ; il lui caressait les cheveux soyeux ; et il percevait sous ses doigts les émotions de ce petit crâne rond. C’était une enfant trop tendre, plus délicate que ses frères, dont la crise de croissance s’accompagnait de petits troubles de sensibilité, d’ombres de mélancolie passagères et d’anxiétés inexpliquées, dont on se moquait : (Bruno devait, plus tard, se les remémorer. ) Or, ce soir-là, quand la jeune mère, bonne pianiste, qui avait été, à Rome, élève de Sgambati, interrogeant les touches du piano, eut (pourquoi ?) l’impulsion obscure d’en faire sortir le mystérieux andante de la Septième Symphonie, — dès le premier crescendo de la morne Marche, inexorable, — (on la dit de noces, mais avec qui ? avec la mort ?) — la petite fille éclata en sanglots, et cria : non ! et se sauva. On changea de musique, et le père prit sa Sibylle dans ses bras. Ils se mirent à la fenêtre. La petite gazouillait déjà, et une de ses menottes enroulait autour de ses doigts la barbe du père. Les deux jeunes femmes, la tante et la mère, étaient venues aussi et respiraient le souffle embaumé du jardin ; elles s’appuyaient toutes les deux,