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en cultivant ses orangers et partageant avec un frère député les produits d’une solfatare, il publiait en un beau style des mémoires épigraphiques et une anthologie des Orphiques. Il poétisait même, pour son compte, aussi bien en grec qu’en italien. Il était arrivé à la quarantaine, sans rien connaître des rigueurs de la vie. Entouré d’affections et lui-même affectueux, il avait reçu, avec l’aisance, de ses parents intelligents, le goût du travail désintéressé, qui est un plaisir de plus, et l’indulgent optimisme qui ne coûte guère à ceux qui n’ont presque jamais eu à faire qu’au visage riant de « la Mère ». Ces gentilshommes « bellettristes » écartaient de leur jardin l’écho des luttes bestiales qui, dans l’enfance de Bruno, secouaient l’échine fiévreuse de leurs voisines, la Calabre et la Basilicate, — les guerres sociales entre galantuomini et cafoni, — et la misère épouvantable. Le comte Bruno ne s’était même pas donné la peine de visiter une fois la solfatare, dont les revenus lui permettaient d’aligner ses « rimes d’or », ou bien celles de Pythagore. Son frère, qui s’y rendait, rarement, l’en avait aimablement détourné, faisant une brève allusion à la poussière, à la misère, à la nécrose : il les déplorait sincèrement : c’était un mal nécessaire ; mais nécessaire il n’était point que les comtes Chiarenza y attristassent leurs claires prunelles où se mirait la nymphe Galathée, leur voisine de fable mythologique. Chacun son rôle : le leur était de réaliser, et par la plume, et (n’en étaient-ils pas dignes ?) par la vie, la beauté.

Pour une telle mission le comte Bruno était bien doué. Ses belles mains, adroites et nonchalantes, écartaient sans efforts les ombres de son chemin. Aimable et séduisant et facile à séduire, il n’avait point manqué d’amours, que, par la grâce de sa charmante nature, de sa bonté superficielle, mais spon-