Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/264

Cette page n’a pas encore été corrigée

sang sourdit. Elle restait, le bras levé. Elle semblait une Amazone dans la bataille. La foule indiscrète exprimait naïvement son appréciation de connaisseurs en belles formes et belles blessures. Le signor conte tâta, lava, pansa rapidement la plaie, avec des doigts sûrs et délicats. Une vieille paysanne l’aidait. Il demanda :

— « Je vous fais mal ? »

Annette dit :

— « J’en ai vu d’autres !… N’est-ce pas, ma mère » ? (Elle s’adressait à la vieille.) « Les hommes sont bien fiers de leurs blessures de guerre. Il y a beau temps que nous avons les nôtres ! Mais nous ne songeons pas à nous en vanter. »

— « Et quelles batailles ? » demanda le comte.

— « Si, signori ! Celles de vous avoir vêlés. »

La foule rit. Un vieux homme dit :

— « Bravo ! Et ces mâtines ne font pas seulement les veaux, elles font les cornes. »

Mais Annette plastronnait, pour ne pas défaillir. Elle parlait dans un brouillard. Son infirmier ne s’y trompait point. Il lui dit :

— « Et maintenant, étendez-vous ! »

Elle s’obstinait :

— « Est-ce qu’il n’y a rien, où je pourrais vous aider ? »

— « Il n’y a plus rien qu’à attendre de Tarente un train de secours. »

On eut longtemps à attendre. C’était encore la période de désorganisation d’après-guerre. Les sinistrés campèrent dans la plaine. La nuit était claire et fraîche. Avec les débris des wagons, ils avaient fait de grands feux. Annette et le comte, installés à l’écart, causaient. Loin, à leur droite, fumaient les restes de l’incendie. Et de très loin, apporté par le vent, le fré-