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s’occupa d’en retirer ceux qui s’y trouvaient encore empêtrés. Le plus grand nombre avaient fui, courant, criant, à travers la plaine, comme des volailles éperdues. On en voyait butter, s’étaler en braillant sur les champs. Dans leur panique, ils ne se croyaient jamais assez loin du danger. On eut grand peine à en rallier quelques-uns. C’est ici que le signor conte révéla sa calme autorité. Il ne criait point. Il ne s’agitait point. Il passait tranquille au milieu des gesticulations hystériques, il prenait cet homme ou cette femme par le coude ; il leur imprimait aussitôt sa volonté ; leurs cris leur restaient dans le gosier ; il leur disait :

— « Viens, toi, ma bonne… Allons, mon cher, garde ton ut de poitrine, pour quand tu débuteras au San Carlo… Avec de tels poumons, au moins souffle de l’autre côté ! Tu souffles sur le feu… »

Ils riaient. Il en faisait ce qu’il voulait. En peu de temps, on eut fini de déblayer ce qui restait à sauver. On aligna les infirmes, à quelque distance de la voie ferrée, dans un fossé, à l’abri d’un talus. Le comte avait une petite trousse de campagne ; il s’occupa de panser sommairement les plus atteints. Il cherchait des yeux la Française. Il l’aperçut à quelques pas, adossée à un olivier tordu. Elle se sentait toujours à deux doigts de tourner l’œil, et se mordait la lèvre pour se retenir sur la pente. Il quitta les autres et dit :

— « À vous ! »

Autour d’elle, la plaine sèche, aucun abri, et tous ces yeux qui l’observaient… Elle dit :

— « À la guerre comme à la guerre ! »

Elle se dégrafa. Le sang collait à l’étoffe. Avec un canif, il la décousit. Entre le sein et l’épaule droite, une flèche de bois du wagon brisé avait fait une encoche. En arrachant un lambeau de la chemise, un filet de