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aussitôt à la bouche. Elle tendit les mains vers lui. Et seulement après, elle eut honte de s’être laissée surprendre dans son négligé d’âme et de toilette ; mais elle rit, de bonne humeur, en voyant qu’elle tenait encore à la main le torchon. Et il rit avec elle, s’excusant, excusant la servante qu’elle grondait. Il avait vu dans ses yeux l’élan de joie chaude et franche, qui allait au devant de lui. Le même élan le menait à elle. Bien qu’il fût presque un vieillard, ses jeunes yeux avaient vingt ans.


Il y avait sept ans qu’Annette l’avait rencontré, dans un compartiment de chemin de fer qui traversait le sud de l’Italie. Elle revenait alors de son séjour en Roumanie[1]. Sortant à peine de maladie, fiévreuse encore, elle éprouvait un besoin vorace de dormir. Mais elle se sentait toujours dans la jungle — la jungle aux roseaux où elle avait fui, s’enfonçant jusqu’au ventre dans la vase ; — les terres de fièvre, les grands marais que le train italien traversait la lui rappelaient ; et elle restait raidie, tendue, et frissonnante. Elle luttait contre le sommeil ; il la terrassait par instants ; elle ployait le cou, mais aussitôt elle le relevait en sursaut, elle redressait sa tête méfiante, qui observait, sourcils froncés, ses voisins. C’étaient, presque tous, des gens du peuple et de petits bourgeois italiens. Elle voyageait en troisième classe, dans un compartiment du milieu, bondé ; aux stations, on empilait à coups de poing, dans le wagon déjà plein, les en-surplus ; ils s’asseyaient sur les genoux des autres ; une femme, debout, oscillait, agrippée de ci de là, à une épaule ;

  1. L’Annonciatrice, tome I.