— « Sapristi ! Je suis folle… J’ai oublié de déjeuner. »
Elle est une solide mangeuse. Pour faire un tel oubli, il faut en effet qu’elle ait perdu la boussole. Elle la retrouve sur-le-champ. Mais tandis qu’elle rattrape les bouchées en retard, elle conserve la piste, où elle vient de tomber en arrêt. Elle a beau se dire :
— « C’est idiot. »
Elle se dit :
— « Il l’a aimée, avant que je sois née. »
Et Dieu sait ce que, par la suite, sa femelle imagination, farcie de science romancée, ira bâtir là-dessus ! Avant d’être rangées, les pauvres lettres seront plus d’une fois relues et étudiées. George pourrait, après, discuter des faits et des dates avec son père. Si elle ne le fait pas, il ne s’en faut de guère ; certain soir, elle s’est mordu la langue, elle eût voulu savoir… Diables de préjugés ! Pourquoi ne peut-on pas bonnement causer de ces sujets ?… Ce n’étaient pas les sujets qui l’eussent arrêtée. Mais elle ne pouvait décemment lui raconter comment elle s’était emparée de ses secrets. Et que c’était amusant, pourtant, et touchant !…
— « Ce pauvre homme, qui est là assis, de l’autre côté de la table, qui croit être tout seul au monde avec ses mystères, qui ne sait pas que je les connais, que je le vois tout nu, avec sa peine, son amour, ses faiblesses, toutes ses blessures… Et je le juge… Je te juge… Tu en as fait, des gaffes ! Tu n’as pas été brillant… Ah ! je ne t’en aime que mieux !… »
Elle alla l’embrasser…
— « Pauvre papa !… »
Il ne comprenait pas.
Elle se mit en chasse. Elle avait décidé qu’elle retrouverait Annette. Mais il n’était pas à espérer que son