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père[1]. La destinée vengeresse la livrait à son tour. Mais son père à elle, était mort. Le père de George vivait. Et les cendres remuées brûlaient encore. Brûlaient les doigts de George, qui les avait touchées… George rêvait, voguait sur des mers inconnues… Des effluves lui venaient d’îles polynésiennes, qu’elle voyait surgir de l’émeraude marine, lignes de madrépores et de palétuviers, avec une frange d’écume… Ces archipels lui étaient un pays étranger… Mais d’autant plus intense leur parfum, la pénétrait… Et sous ses pas se déclenchait le trébuchet de l’étrange émotion, que nous connaissons tous, au choc de certaines rencontres, en des lieux où jamais nous ne sommes passés :

— « Je fus ici, déjà… »

Elle ? Elle fut ici ? Comment l’aurait-elle pu ?… Elle n’a aimé personne. Et même en ce moment, elle est libre et lointaine de l’amour… Et cependant, l’amour de cette étrangère lui ressurgit du cœur, comme une sonnerie de cloches lointaines qu’on connaît. Toute cette histoire ancienne lui est un récit conté dans un demi-sommeil jadis, et oublié. Presque chaque épisode, après qu’elle l’a lu, il lui semble qu’elle l’eût conté avant d’avoir tourné la page. Et cette figure de femme, qui lui est à la fois énigmatique et proche, elle ne ressent pas sa peine, elle ressent ses élans — non pas la mélodie, l’amour ou l’élégie — mais le rythme, la force, le jet de source, le sang. Elle jurerait qu’elle l’a vue… Mieux ! Connue… Mieux !… Quoi, mieux ?…

George se redresse, assise ; si brusquement que sa tête a frappé le dessous de la table : — « Mieux !… C’est à moi. »

Mais le coup l’a réveillée. Elle se frotte le crâne.

  1. Annette et Sylvie.