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était imprégné, pourquoi ne l’eût pas été sa fille ? Peu importait qu’il fût le jouet d’une hantise ! — Mais cela importait beaucoup pour le bonheur de George. Sans qu’elle en eût le moindre soupçon, elle y devait l’étonnante indulgence de son père et le respect attendri qu’il témoignait pour sa liberté. Elle se disait : « — J’ai de la chance !… » Elle ne se doutait pas à qui elle la devait. Elle finit, un jour, par la rencontrer, l’ombre invisible, qui rôdait dans la maison ! Elle l’avait sûrement frôlée bien des fois, au seuil de la porte de son père, ou dans son regard, depuis les premiers jours de son enfance. Mais elle y était tellement habituée qu’elle ne l’avait jamais remarquée. Il fallut que l’ombre parlât… — Elle parla…

Julien était en voyage à Londres, pour un congrès. Il devait rester absent, une quinzaine. George en profita pour faire la chasse à la poussière dans le saint-des-saints : sa chambre de travail. Comme tous les vrais travailleurs, il ne permettait point qu’on y touchât : il prétendait y faire l’ordre lui-même. Et bien entendu, son ordre était, pour les autres yeux que les siens, le plus inextricable désordre. George, qui était l’ennemie née de la confusion, guettait depuis longtemps l’heure d’accomplir un coup de force. Elle saisit celle où le maître n’était point là. Il en ferait une musique, à son retour !… Il la ferait…

— « Chante, papa !… »

Elle en riait d’avance, comme une gamine :

— « Protestez, sacrés papiers ! » (Elle les prenait par brassées et les jetait sur le plancher). « Je suis le maître de ces lieux… »

Elle y allait de si bon cœur, raflant les liasses, jonglant avec les piles de cartons, qu’un de ceux-ci, ouvrant sa gueule pour protester, vomit, comme dans