Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/243

Cette page n’a pas encore été corrigée

tez pas à cause de moi ! Je saurai bien toujours m’en tirer !… »

Elle ne le disait pas. Elle ne se l’exprimait peut-être pas clairement. Mais cela se lisait dans sa magnifique insouciance. Et les raisons de nouveaux tourments ne manquaient point à la maman. Elle s’en donnait à cœur-joie. (Il faut du pain pour toutes les faims. Certains préfèrent le pain de larmes. George ne le leur disputait point…)

Ce fut peut-être une chance pour toutes les deux que la mère s’en allât dans ce monde qu’elle jugeait meilleur, quand la fille n’avait pas encore quinze ans. Certes, George dit et pensa :

— « Ma pauvre maman ! »

Et elle pleura à gros bouillons : elle le pouvait, tout comme une autre ! Elle s’offrait à l’occasion un de ces gros chagrins d’enfant, où le nez gonfle et les yeux n’y voient plus d’avoir pleuré. Mais — ce n’était point sa faute — l’ondée passée, les yeux séchés, il n’en faisait que plus beau ; et la « pauvre maman » ne tint plus grand place au logis. Ni le père, ni la fille n’en convenait : mais on s’y trouvait bien plus à l’aise.

Si loin que Julien fût de l’esprit de sa fille — terre inconnue !… — il se sentait pour elle d’incompréhensibles complaisances, et encore plus depuis l’instant où, abandonnée à son seul patronage, l’enfant se muait en femme. Il n’avait gêné en rien son développement ; il lui laissait une liberté de mouvements, qui eût affolé la mère : George sortait, rentrait quand elle voulait, organisait ses journées comme elle voulait, en rendait compte, n’en rendait pas compte, si elle voulait : elle ferait de sa vie ce qu’elle voudrait. Julien ne lui demandait rien que d’avoir l’œil à la bonne tenue de la maison, d’être exacte à certaines heures des repas et, pour le reste, de savoir qu’il lui faisait confiance. Elle