Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/24

Cette page n’a pas encore été corrigée

terre et de sa pensée où il n’entrât, — elle, se cabrait, reprenait conscience, avec une orgueilleuse amertume, des limites en elle de l’amour :

— « Je t’ouvre ma porte, parce que je le veux. Entre ! Mais jusqu’ici. Tu n’iras pas plus loin… »

Elle redécouvrait, au delà des portes de son cœur, des espaces illimités, où nul n’avait le droit d’entrer : elle-même ne les avait pas explorés ; ils se perdaient dans les lointains : — « l’âme… »

— « Mon corps, mon cœur est à toi… Mais « l’âme », non ! « L’âme » est à moi… Est-elle à moi ? Ou à elle, moi ?… »

Et c’était justement l’âme qu’il voulait !

Et cette « âme », elle n’y croyait pas ! En bonne Russe d’après 1917, nourrie de bouillie matérialiste, selon la formule officielle, elle s’était coupé l’âme, avec les cheveux. Elle n’employait plus ce mot creux. Elle disait : « Moi, mes besoins, mes droits ». Et qui le lui remit en mémoire, ce vieux mot, cette chanson désuète ?

Ce fut Annette. — Elle avait fini par percer à jour le malentendu qui s’élargissait entre ses deux enfants, et qu’ils lui cachaient. Mais ils étaient trop passionnés pour être adroits. Ce qu’ils cachaient, ils le désignaient aux regards. Sourcils froncés, crispés, ils avaient l’air, l’un en face de l’autre, de deux jeunes bêtes qui se défient : elles se refusent et elles se veulent :

— « Tu es à moi ! »

— « Je suis à moi… »

Mais si l’on avait saisi au mot celle qui se refusait, elle se fût jetée sur l’autre, en lui criant :

— « Prends moi ! »

Ah ! que Annette connaissait bien ces combats ! Elle se remémorait les pleurs de Roger dans les bois, et les abois lointains du chien qui poursuivait le