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front suive. C’est un pauvre seigneur, auprès des forces profondes de la chair. Quand je dis : « la chair », je dis : « l’âme » et ses armées. Julien avait en lui plus de ces énergies qu’il ne pensait. Nous en avons tous. Mais elles dorment ; nous avons peur de les réveiller. Et la plupart de ceux qui ont peur, ils ont raison. Ils ne seraient pas capables de les diriger. Gare au pays, si les bandes étaient lâchées ! Mais Julien gouverne, même en les suivant, ses armées. Un intellectuel de sa trempe peut lancer sa barque sur les courants : il n’abandonne point la barre.

Ce rare équilibre de l’esprit critique et de l’intuition donna naissance à des « Dialogues du Peuple sur l’Aventin », où le peuple de l’Âme, qui a rompu ses liens avec la Cité, tumultueusement délibère ; et le dernier mot n’est pas, cette fois, à l’homme qui plaidait la cause de l’Estomac ; celui qui veut manger, qu’il travaille !… « Montre tes mains ! Intellectuels, savants, artistes, écrivains, rendez vos comptes ! Qu’avez-vous fait, depuis cent ans que vous êtes rois — ou bien valets — de l’opinion ?… » C’était une parade à la Daumier. Tous les héros de l’écritoire, sur les tréteaux ! Mais le vrai drame était dans l’âme du spectateur, qui se détourne avec mépris, — ce peuple, qui campe hors de la cité, autour de ses grands feux dans la nuit, et qui regarde monter au gouffre du ciel leurs fumées rouges, où les étoiles crépitantes sont des flammèches. — L’esprit, sans guide, faisait sa Révolution, à l’heure où la Révolution se faisait là-bas, par les poings des peuples, au fond de l’Europe. Mais l’esprit ne connaissait pas les faits ; et il ne faisait rien pour être connu. Julien ne publiait point ses méditations. Même après que, l’état de guerre et la censure ayant pris fin, il n’eût pas eu de peine à leur trouver un éditeur, il les garda en manuscrit ; il répugnait à les livrer au plein air. Peut-être