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beau murer le scandale. Le scandale est muet, mais il est vivant.

L’âpre et brûlante méditation de Julien s’attache aux hommes, en même temps qu’aux idées. Ses expériences de la vie, qui l’ont meurtri, sont un bienfait pour son esprit. Elles lui éclairent l’humaine nature et les chemins tortueux du labyrinthe. Il est sorti de la science des livres. De jour en jour, pendant des années, il pénètre dans les catacombes de l’âme, tous ces réseaux entrecroisés du subconscient, qui parcourent la terre évidée, sous les pas de la pensée qui parle, du mensonge quotidien. Il les explore, seul, sans beaucoup s’aider de la chandelle des grands docteurs es psychanalyse. Il a sa propre lanterne. Son atavisme religieux lui a mis en main la clef d’une intuition singulière, qui tient autant de l’instinct animal que de l’intelligence raisonnée, mais que celle-ci vient diriger et ordonner. Le résultat est une pensée qui, après avoir longtemps erré sous la terre, cherchant l’issue, fore la croûte de la nuit, et surgit en jets artésiens d’images, aux points plus faibles de l’écorce, que l’ingénieur a repérés. Il se trouve que ces grands flots des profondeurs, chargés de symboles qui s’ignorent, comme des poissons aveugles, sont d’un poète-philosophe. Mais Julien mettra longtemps à s’en apercevoir. Comme il a peu de sens pour ce que l’on admire communément sous le nom de poésie, il se croit fermé à ces lumières, qui ne lui inspirent aucun regret ; et quant à la philosophie, depuis que le doute religieux a ruiné ses assises, il s’imagine qu’il n’est plus d’assises, et il raille les efforts vains de l’esprit pour les reconstruire. De bonne foi, il croit qu’il ne croit plus à rien… Possible !… Il ne croit plus. Mais il crée… Et qu’est-ce donc que créer, sinon croire ?… Peut-être pas du front, mais des reins. La voix de l’être crie : — « Engendre ! »… » Il faudra bien que le