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titués, à peu de risques, les « défenseurs du moral de l’arrière », ont organisé quelques chahuts à ses cours du Collège de France. Il est heureux que la solidarité professionnelle, plus forte que même la passion patriotique, le défende contre les violateurs de l’enceinte sacrée, comme celles où les criminels, au Moyen-âge, ne pouvaient être appréhendés. Il conserve son cours. On ne le ferme que quelques semaines. Au bout de ce temps, on l’a oublié. Les pères Fouettards de l’Action Française ont d’autres chats à fustiger !

Julien ne renouvelle pas le scandale. Mais il n’y a aucun mérite. La censure, avertie maintenant, ne laisse plus passer de lui aucune ligne. Même ses Mémoires archéologiques sont suspectés. Aucun ne pourra plus paraître avant la fin de la guerre. — Quant à accepter les offres qui lui sont faites par les partis d’opposition politique, désireux de s’annexer son nom pour leurs associations et leurs meetings, d’ailleurs clairsemés et traqués, Julien a encore trop conservé de son double orgueil d’intellectuel et de bourgeois, pour s’y prêter. Il lui faudra bien des années pour se délivrer de son faux-col empesé. Même dégagé et déraidi, il sera toujours plus à l’aise avec ses livres qu’avec les hommes dans la rue. Mais son esprit est intrépide ; rien ne lui fera abandonner la piste commencée ; et loyalement, le corps, sans joie, mais sans plainte, suivra l’esprit où qu’il le mène, et s’il le faut, jusque sur les barricades.

Il n’en est point là, entre 1915 et 1919. Il se tait, et il médite. Le vide même que l’on a fait autour de lui, lui a donné des loisirs. Sa solitude intellectuelle l’enrichit et l’enhardit. Il apprend à se passer des autres. Et ces autres qui, voulant lui retirer l’air, lui ont enseigné à le chercher sur les sommets, sont irrités de la déconvenue, et leur hostilité s’en envenime. Ils ont eu