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Julien de se taire. C’est trop commode, de ne point parler et de penser en liberté ! On le mit en face d’une déclaration commune. Il ne la signa point. On exigea qu’il dît pourquoi. Julien avait horreur de toute profession de foi publique. Mais il ne fuyait pas sa responsabilité. Il dit pourquoi. Il le dit, en termes si nets, si précis, qu’une fois dits, les imprudents qui les lui avaient arrachés, auraient voulu les lui rentrer dans le gosier. La passion stupide leur avait fait dépasser le but. En tendant le piège à l’adversaire, eux-mêmes s’y trouvaient coincés. Ce n’eût été rien encore, si leur fureur avait su demeurer à huis-clos. Mais des journalistes en eurent vent ; et l’un d’eux parvint à prendre copie de la dangereuse confession de l’hérétique. La sottise de la censure fit le reste : elle permit l’accès de la poudrière, pour exalter la patriotique flétrissure que le haut corps enseignant infligeait à l’indignité d’un de ses membres. Quelques coupures maladroites de passages, ni plus ni moins audacieux que le reste du texte, stimulaient l’imagination du public à chercher de pires audaces. Julien ne fut pas le moins saisi, à la lecture de son propre article. Sa timidité naturelle se demandait :

— « Mais qui ? Mais qui a dit cela ? Qui me l’a fait dire ? »

Et puis, soudain, il se tut. — Par-dessus son épaule, Annette lisait… Julien se leva, il marcha de long en large dans sa chambre, deux ou trois fois. Il se rassit. Et il sourit :

— « Ce que femme veut… Advienne que pourra ! »

« Elle » était arrivée à ses fins. Il avait brisé ses lisières — ainsi qu’ « elle » les avait brisées — avec le vieil ordre social. Et maintenant, il était seul — seul avec « elle » ; — mais il n’était pourtant pas assez sentimental pour ne pas savoir qu’ « elle », ce n’était qu’une