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dans les usines de fabrication des munitions intellectuelles et des canons. L’histoire, la science, et l’éloquence, tout était bon. — Il eût mieux fait de laisser Julien dans l’ombre. Julien n’eût pas demandé à en sortir ; et il eût probablement évité de discuter les conclusions que ses aînés, que ses pairs et ses collègues, lui feraient lire et soussigner. Mais lui demander de les contrôler, de participer à leurs secrets de fabrication ! Quelle imprudence ! Ils étaient de bonne foi, — à leur manière. Ces braves gens étaient si pleins de leurs passions nationales et de la conviction qu’elles s’identifiaient avec la vérité, que lorsque celle-ci faisait mine de les contredire, ils n’hésitaient pas à la faire taire, ou à lui faire dire ce qu’ils voulaient. Il suffisait de lui cheviller un peu les membres, bien ligotée sur le chevalet : (ce n’est pas pour rien que la Sorbonne compte parmi ses ascendants les hommes d’art et de science qui soumettaient à la « question » les corps de ceux dont ils voulaient faire issir la vérité !) Julien était maladroit au métier. Il écoutait parler la vérité ; et il ne savait pas ce que « questionner » veut dire. Il rapporta naïvement de son étude de textes allemands ce que ces textes avaient dit. Ce n’était pas ce qu’on lui demandait. Une discussion s’engagea ; et comme elle amena la confrontation avec les résultats fort différents de ses collègues, l’opposition se révéla. Elle fut nette, soudaine, et brutale. L’intellectuel, quand on l’irrite, en le touchant imprudemment au point sensible, voit non pas rouge, mais blanc : (c’est, on le sait, dans le feu, un degré plus intense). Julien, dont les lèvres blêmissaient en écoutant les transcriptions d’un de ses collègues, frappa du plat de la main sur la table, et cria :

— « Mais c’est un faux ! »

Quel tollé !… L’homme qu’il venait de souffleter