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songeait pas à s’égaler à lui. Elle sentait combien la pensée de Julien la dépassait. Elle suivait de loin, jusqu’à telle borne de la route. Passé la borne, elle ne pouvait plus, elle l’avouait. Il eût fallu trop de temps pour rattraper l’avance que la science et lui avaient prise sur elle, depuis quinze ans. Mais son orgueil y trouvait encore son compte. Il est si loin, il est devenu si grand, son petit !…

Et elle songe à ce que sa vie aurait pu être avec lui. Elle y songe, pendant des heures, sans bouger, au creux de son lit. Elle a tendresse, tristesse, et amusement. Sa vie se défait et se refait, en songeant…

Assez songé ! Elle est guérie… « La vie est un songe… » Peut-être !… Mais elle est un songe, où le pain ne vient pas dans la bouche, sans qu’on l’ait gagné… Elle saute du lit. Et au travail !

— « Mon petit Julien, on se reverra, quand on chômera ! Ce ne sera pas pour demain… »

Elle n’y pense plus. Mais Marc lui dit :

— « Tu as rajeuni. »

Elle rit :

— « Les gens comme nous, il n’y a qu’en étant malades qu’ils se reposent… »