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les élancements étouffés de la pensée vers l’héroïque vérité ; et elle les avait couvés sous ses ailes. Elle les reconnaissait, ses poussins ! À lui, à elle. Ils avaient foré du bec la coquille. Le vrai Julien.

— « Mon Julien… Le voilà donc ! Il est né !… Et de quel ventre ?… Du mien, du mien ! Je l’ai porté et enfanté. Il est le fils de mon amour et de ma douleur. Je le reconnais. Je me reconnais… »

Comment n’eût-elle pas reconnu ? C’était elle-même qui parlait, en certains mots. Elle se rappelait, quand elle les lui avait dits… Et que quinze ans après, il les eût redits !… C’était souvent moins que des mots, et infiniment plus : c’étaient ses propres inflexions ; ce qu’il disait était de lui ; mais pour le dire, il avait pris sa bouche, à elle. Le goût lui en était resté aux lèvres… Et, dans son lit, les yeux fermés, immobilisée pendant des journées, elle baignait dans une joie de gratitude…

— « Cher Julien !… »

N’y avait-il pas là beaucoup d’orgueil et, par l’orgueil, beaucoup d’illusion ?… D’illusion ?… Non, elle était sûre ! Elle était la seule à le savoir. Mais elle savait. On ne pouvait pas la tromper… Quant à l’orgueil, elle ne disait pas non. C’est vrai, il y en avait. Un peu… Beaucoup ?…

— « Peut-être plus que je n’en conviens ! C’est vrai, j’en ai, de l’orgueil, dans toutes mes actions, tout au fond, même quand je me crois le plus dépouillée de toute pensée personnelle, quand je veux l’être, quand je me dis : — « Enfin ! je suis morte à moi-même… » Je ne suis pas morte. La bonne femme vit encore… Et comment ! Comme elle revendique son dû !… Son Julien… Dire que je l’avais, depuis dix ans, et que je n’en savais rien !… »

Car il avait beau avoir grandi, il était sien. Elle ne