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qu’elle l’a connu, elle l’a perdu de vue. Il est tout de suite sur la voie. Elle sent son regard rigoleur qui la fouille. Mais pour l’instant, il n’insiste pas ; il lui raconte brièvement, avec sa brutalité ordinaire, mais sans insultes pour son « type », comment Davy a, pendant la guerre, joué le rôle inopportun de pacifiste et d’Européen ; — et, depuis la paix, (il a le vice incarné !) il est passé au rôle opposé d’avocat des hommes-au-couteau-dans-la-bouche et de champion de l’Anti-Europe (de l’U. R. S. S. : — ainsi en juge Timon). Et il conclut :

— Tu es satisfaite ? Qu’est-ce que tu en dis ? »

Elle réplique :

— « Je dis que s’il a soutenu les deux thèses opposées, il faut bien qu’il y en ait une qui soit la vôtre. »

Il s’esclaffe :

— « Penses-tu ! »

Elle sourit :

— « Non, je ne pense pas. »

Elle sait très bien que ce ne sont pas les thèses qui l’intéressent. Ce sont les profits. Et mieux encore, gains ou pertes, c’est le jeu. Les thèses sont pour ces benêts d’idéalistes, ces pions qu’on fait manœuvrer sur l’échiquier. Mais alors, cela vaut-il la peine de tempêter contre eux ?… Eh ! cela fait encore partie du jeu…

Plus d’une fois, par la suite, Timon, quand il est seul avec Annette, ramène sur table le sujet ; et quoiqu’il le fasse sans beaucoup de délicatesse, sa taquinerie n’est point méchante ; il veut savoir… Et (que c’est étrange !) cette Rivière, qui n’a jamais livré au plus intime son secret dormant sous ses eaux, elle s’ouvre tranquillement à la curiosité de ce brigand. Sans aucune gêne, le sourire aux lèvres, elle lui conte, non sans un grain d’ironie, la mésaventure de ses trente ans. Et lui,