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le renoncement à beaucoup de ce qu’elle avait, avec sa génération, cru et aimé, aux idéaux de sa jeunesse, qu’elle avait vus vieillir avec elle et qui feraient place (c’est la loi de vie) aux idéaux d’une autre jeunesse, — Annette était l’intermédiaire entre ces deux époques de la liberté, et elle tâchait de faire mutuellement estimer, aux uns la grandeur mourante du vieux idéalisme bourgeois issu des ruines de la Bastille, aux autres le renouvellement du monde par le matérialisme héroïque de la Révolution prolétarienne. Elle n’était pas de ceux qui s’inquiètent des mots d’école. Matérialisme, idéalisme, que le feu de vie se nomme comme il voudra ! Toute la question est qu’il flambe.

Marc avait tendance, comme sa mère, à sympathiser avec ces fuorusciti : la tragédie de leur destinée, en marge du temps, lui était secrètement apparentée, bien que sa volonté réfléchie l’y arrachât. Il se faisait leur champion. Assia trouvait que son Don Quichotte défendait une cause perdue. Mais elle s’était imposé la loi de ne plus gêner les chevauchées de son chevalier sur Rossinante ; et elle aimait, non sans en rire, ses longues jambes et ses coups de lance. Ceux-ci valurent à Marc la reconnaissance des exilés, et l’honneur, dont il se serait passé, d’attirer les regards des agences fascistes en France. La petite rue, peu fréquentée, où gîtait la librairie, s’anima de certains promeneurs, qui trouvaient un intérêt singulier aux humbles étalages du quartier ; la librairie bénéficia de longues visites de clients, qui bouquinaient interminablement, avant de se décider à acheter ; et Marc reçut, jusque chez lui, des admirateurs italiens de ses articles, qui lui témoignaient, avec une gratitude trop attendrie, un antifascisme véhément, dont l’expression faisait dresser l’oreille de Assia, dans le couloir, montant la garde à la porte de son grand. Car il n’était pas assez