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Il subsistait entre les deux une différence. La faim de Assia était tout plaisir ; car elle était saine et sans soucis : « J’ai faim, je mange… Tant pis pour ce qui est mangé ! » — Mais la faim de Marc ne pouvait pas oublier les droits à vivre de qui est mangé, comme de qui mange. Toute vie en marche chemine sur des victimes. Nulle société vraiment nouvelle ne s’édifie que sur les ruines de celle qui était, avant. Et ces ruines ne sont pas des pierres, ce sont des corps qui ont du sang. Pour connaître le goût de ce sang, Marc n’avait qu’à lécher ses propres blessures ; dans le combat qui s’imposait à sa volonté, il se trouvait, par sa nature, des deux côtés : les coups qu’il portait, il les recevait. La cruauté du combat lui était deux fois sensible : frappant, frappé. Et l’idéologie du combat heurtait la sienne : cet esprit de masse prolétarienne, ce matérialisme dialectique, l’offensait personnellement dans son aristocratisme invétéré d’individualiste intellectuel, qui a beau faire : il lui faut croire aux privilèges de l’intellect et de la caste qui s’identifie avec lui ; s’il ne croit plus, il se sent perdu !…

Marc n’arrivait à s’en sauver que par une réaction ascétique, qui se punissait — lui et sa caste — de leur indignité reconnue, en se condamnant au dur service de la classe prolétarienne et aux moyens de combat