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quelle pitié !… Annette considérait le visage amaigri, précocement vieilli de son garçon, les petites rides nouvelles autour des yeux, le pli de la bouche, moins colérique, plus lassée. Son cœur se serrait. Mais elle savait que la lance d’Achille guérissait seule ce qu’elle avait blessé. Pour la saisir, les deux ennemis n’avaient qu’à tendre la main. Mais les deux fous s’y refusaient. Annette était sûre qu’ils s’aimaient, qu’ils se voulaient ; mais aucun des deux ne voulait vouloir le premier. Ils n’avaient de vouloir, qu’à se ruiner.

Ils étaient pourtant au bout de leurs forces ; ils n’en pouvaient plus, de ne pas se voir ! Car Marc savait que Assia était rentrée à Paris ; et tous deux avaient été avertis par Annette des jours et heures qu’elle réservait à chacun, afin de leur éviter (disait la bonne femme) la peine d’une rencontre. Ils s’arrangeaient, de mauvaise foi, pour s’apercevoir, ces jours-là, aux abords de la maison d’Annette, en tâchant chacun de voir sans être vu. Le fort était qu’en se livrant à ce jeu de cache-cache, chacun croyait être le seul. Et à chaque fois que, dans la rue, embusqués au coin d’un magasin, l’un happait de l’œil la silhouette de l’autre, son cœur bondissait dans sa poitrine, ils étaient près de s’élancer, ou de s’affaisser, les jambes molles, parcourus d’ondes chaudes et froides ; et ils rentraient, épuisés, vidés de sang, la bouche sèche. Après, leur journée était perdue…

Un tel état ne pouvait durer. Il fallut bien que l’heure vînt. — Marc était, ce jour-là, chez sa mère. Annette s’était enfin décidée à suggérer la possibilité d’un rapprochement ; mais Marc s’y était refusé net ; et il avait coupé court, avec rudesse, à ces propos. Assia guettait, sur l’autre trottoir, en face de la porte d’entrée ; elle attendait, cachée derrière un camion, que Marc sortît. Mais il tardait. Elle n’y tint plus. Elle