Assia courait, par l’Europe, le nez sur la piste. Mais elle n’avait pas rattrapé le gibier.
Des millions d’hommes, d’hommes et de femmes, — surtout des moins-de-trente ans — couraient comme elle. Dès qu’elle avait passé la frontière, elle avait trouvé ces peuples fiévreux de la jeunesse, qui couraient, couraient, butant, s’entrechoquant, comme des béliers, vers une action, n’importe laquelle, qui les fuyait, — vers un devenir vertigineux. Et c’était en cette Allemagne d’après-guerre un chaos de l’âme à la dérive, jusqu’au désespoir furieux. Tout était détruit de ce qu’on avait cru. État, famille, société, toutes les traditions de pensée, toutes les formes de la certitude, et la notion même de certitude. Toute croyance à un point stable et absolu était crachée comme un mensonge ignoble et une lâcheté. Et ces troupeaux de jeunes damnés de Dante, que l’égoïsme insensé des vainqueurs français avait déchaînés comme des tornades entre les murs de leur morne prison, nue d’espoirs, avaient mie seule fureur commune : la haine contre les murs qui les étouffaient, contre le calme, contre l’ordre, contre la sécurité stupides de cette prison du passé, que la France d’alors, enrichie, repue, rotant sa victoire, symbolisait aux yeux du monde,