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de son désespoir, les langues marchaient bon train. Celle de Marc séchait dans sa bouche. Il était pétrifié d’horreur. Il ne sentait pas la pluie qui le trempait. Il errait dans les rues et sur les quais ; et il se trouva au pont Saint-Michel ; il inspecta les sombres moires sous les arches, et les vitres éclairées à l’hôpital. Il rentra, fiévreux ; les jours suivants, il promena la grippe à son travail et à l’hôtel du quartier de l’Étoile, où il était allé quêter des nouvelles de Colombe. Mais on lui dit qu’elle n’y était pas rentrée ; et de l’hôpital elle était sortie. Il ne savait où s’informer : car, pour rien au monde, il n’eût revu Bernadette ; et celle-ci ne fit rien pour le revoir, sans faire rien d’ailleurs pour l’éviter. Elle avait eu ce qu’elle avait voulu : sa réussite, l’apaisement de l’obscur désir qui la rongeait depuis des ans. Cet apaisement interdisait tout remords et endormait pour un long temps la faim. Il n’y avait plus qu’à replier sur le secret de sa jouissance les ailes ouatées de l’oubli. Elle avait repris le train de sa vie domestique, qu’une demi-nuit de froid délire calculé avait à peine interrompue. Le bruyant plongeon de Colombe l’enragea : il l’obligeait à remettre en cause le coup triché au jeu et gagné ; et surtout, il provoquait dans l’honorable famille Verdier-Passereau, l’intrusion de l’opinion, le nez en truffe du « qu’en dira-t-on ». Elle ne fit même pas prendre des nouvelles de la rescapée : car du scandale, son « honneur » était blessé.

Mais un soir, rentrant de l’atelier, Marc trouva près de sa porte, dévisagé par les trotteuses du quartier, un curé qui faisait les cent pas. C’était Ange. Ils eurent ensemble, dans sa chambre, un long et bizarre entretien. Le bon prêtre apprit à Marc que Colombe s’était retirée, convalescente d’une pneumonie, dans un home provincial, d’un caractère à demi religieux ;