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Elle y retournait aussi Marc, innocemment. La romanesque se faisait un Marc à son image, aimant, non aimé, trahi, abandonné. Elle eût voulu le réchauffer, en s’y réchauffant… Oh ! humblement ! Le consoler, en se consolant… Qui sait, après ? Mais ces nuits-là, elle ne lut pas plus avant… La pensée se refusait à tourner la page…

Et un matin, elle se trouva, Dieu sait comment ! sur le passage de Marc. À ravir, discrètement fardée, le fin visage avivé d’un crayon sobre et exquis, artistement présenté, bonne à croquer. Et le jeune loup avait faim. Ni l’un ni l’autre n’y vit malice. La nature s’était chargée de tous les frais. En vérité, la Colombe ne songeait (elle le croyait) qu’à consoler. Et c’était là ce que l’orgueilleux Marc, à l’ordinaire, eût le moins toléré. Mais par un détour non calculé de l’instinct, la maladroite à l’ordinaire s’offrit à Marc ingénument comme à un frère de combat, blessé comme elle, et plus fort, — afin d’être consolée. Peu de paroles, ses doux yeux tristes, qui n’appuyaient pas, qui se posaient comme une main légère sur un bras, en prenant garde de peser : on sent seulement, à travers l’étoffe, les doigts tièdes… Comme ils étaient beaux, ces doigts, ces yeux, Marc le découvrit, pour la première fois ! (Il était à jeun.) Ils semblaient même (c’est incroyable !) intelligents. Et le plus fort, c’est qu’ils l’étaient, en ce moment. La chair aimante, la belle aveugle, a de ces miracles. Le malheur est qu’ils ne durent pas. Mais s’ils durent assez jusqu’à son but, c’est tout ce qu’elle veut. Marc se trouva, sans y penser, la main au bras de la jolie fille et le pressant, marchant ensemble dans la rue, et se confiant affectueusement. Elle n’avait fait aucune question ; sans qu’elle l’eût interrogé, il lui disait, avec une sobre vérité, mais sans passion, comme d’un autre, sa mésaventure ; et elle ne faisait