Page:Rolland - L’Âme enchantée, tome 6.djvu/153

Cette page n’a pas encore été corrigée

flexibles de ses jambes. Elle travaillait de son mieux, non sans succès, mais sans plaisir. Elle eût rêvé de les enrouler autour de l’aimé, (quel ? n’importe quel, mais qui fût l’aimé de toute la vie) ! Mais les offrir à une foule d’amants anonymes, lui faisait mal et honte. Elle n’avait rien, mais rien du tout pour le théâtre : pas même cette pointe de naturel cabotinage, bien innocent, qui dort ou danse en presque toute jolie fille de Paris. Elle eût voulu passer sa vie, à son foyer ou dans son lit, son lit à deux qui n’en font qu’un. Sylvie pouvait se vanter d’avoir, quand elle se mêlait de psychologie, un fameux flair ! Mais elle n’entendait pas avoir tort. Si la nature regimbait, tant pis pour la nature ! La douce Colombe ne regimbait point, elle soupirait, mais elle acceptait. Et docilement, elle se laissa, après l’école, engager dans le corps de ballet d’un grand théâtre qui se fondait, moitié music-hall, moitié Opéra. Sa docilité ne faisait pas qu’elle ne restât une étoile de second ordre ; mais avec ses attraits, pour une plus fine, c’eût été un jeu de devenir, comme dit Forain, une comète du Grand Opéra. Il n’y manquait qu’un protecteur. Les protecteurs ne manquaient pas. La pauvre fille ne sut ni les accepter à propos, ni les refuser, quand l’à-propos faisait défaut. Elle prétendait écouter son cœur. Son cœur pleurait, disait « non » à tous les protecteurs « sérieux », — puis, pourchassé, excédé, disait « oui », pour échapper, aux protecteurs sans sérieux. Elle venait après (elle n’osait plus venir) sangloter auprès de Sylvie, qui lui disait :

— « Grande bécasse ! Qui m’a fichu une dinde pareille ? »

ou de Bernadette, qui pinçait la bouche ennuyée :

— « Je n’ai pas le temps… »

et qui pensait :