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qu’elle eût été assez sotte pour respecter, — non par estime, mais par amour.

Et le mariage fut très bien. Le Verdier, dûment bridé, marcha au pas. Et elle, de même. Aucun accroc au contrat. Chacun des deux avait trop à faire, d’arrondir le chiffre des affaires. Et le maigre ventre de Bernadette trouva le temps aussi de s’arrondir, par deux fois. Tandis qu’on plante la fortune, on doit planter aussi l’héritier. L’héritier vint. D’abord, le mâle, puis la fille : il faut penser à l’avenir ; le jour viendra, où l’on devra « se faire » un gendre. Et Bernadette fut bonne mère, comme elle était bonne épouse, sans grand amour — ce qui ne veut point dire : sans attachement. On tient à ce qu’on a, et surtout à ce qu’on a pris et façonné — car c’est « mon » bien : on en a soin. Mais dans la nuit opaque de sa sous-pensée, qu’elle retrouvait dans son lit, quand elle se déshabillait l’âme sous la peau, pendant ses longues insomnies, son vieux désir sortait du trou, silencieux, blessé, à l’affût. Sans que personne s’en aperçût, elle épiait, l’œil de côté, dont le regard est aiguisé par la rancune, — le ménage de Marc. Avant tout autre, elle avait aperçu les lézardes. Et quand la rupture se produisit, elle le sut (par quels moyens d’écoute ?) dès les premiers jours, — avant Annette.

Elle ne commit qu’une erreur — (et l’on ne saura jamais si cette erreur n’était pas voulue) : — elle en parla à sa sœur Colombe. Elle lui apprit, sans émotion, comme un fait, le désarroi où la trahison de sa femme avait jeté Marc, et la solitude morale où il vivait. La sensible Colombe en fut émue. Le ton de froideur, dont Bernadette en parlait, non sans une pointe d’ironie, loin d’y nuire, y contribuait : car Colombe en soufrait pour Marc. Elle avait pour lui un attrait d’enfance. Toute gamine, elle l’avait connu, à travers