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enlevée, avant que Sylvie en eût vent. Elle donna son consentement, en rechignant. Elle n’avait pas elle-même à se vanter de son mariage des temps jadis : il n’était pas très reluisant. Mais son Léopold était au moins d’une grosse étoffe qui dure et qui rassure. Elle perçait à nu les tares foncières de l’électeur (ou de l’élu) de Bernadette. Bernadette les voyait aussi bien qu’elle : sous le plastron du parvenu insolent aux yeux de soie, la lâcheté morale (souvent physique) et le mensonge huileux, qui est une forme et un effet de la lâcheté, — l’insigne faiblesse de caractère, qui se dérobe et fuit devant la vérité, et dont tout l’art est de se la farder, un homme qui n’a jamais osé voir son âme nue dans le miroir, mais qui sait très bien voir celle des autres, leurs vices, leurs faiblesses, et leurs tares, afin de les exploiter, — jamais leurs peines, car ça ne l’intéresse pas ; et si ça l’intéressait, ça pourrait le gêner : il n’aime pas à faire le mal pour le mal, mais pour son bien. Et cependant, par occasions, quand il se sent protégé par l’impunité — soit du seul à seul (bien entendu, si l’autre seul est un plus faible !) soit qu’il s’appuie, dans une grande crise, guerre ou panique, sur la brutalité élémentaire de l’opinion collective, il peut très bien devenir féroce… C’est, après tout, un type de l’  « honnête homme », assez fréquent aujourd’hui : bourgeois moyen. Nous avons désappris de nous indigner, pourvu qu’il tienne exactement ses comptes et que sa légale honnêteté s’exerce aux dépens d’autres que nous et que nos rentes. — Bernadette n’en était point inquiète. En tête à tête, elle ne serait pas, des deux, la plus faible. Et en public, aussi bien que lui, elle savait marcher du côté de l’opinion : c’est le plus fort, et quand on s’appuie sur le plus fort, on l’est. Les faiblesses mêmes de Verdier lui étaient un gage : elle le tiendrait plus sûrement qu’un Marc,