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son chemin ; et puisqu’il lui fallait un mari, elle l’avait pris. Pris sur mesure de sa raison pratique, où sont incluses les trois satisfactions : de l’ambition, du confort bourgeois, et du lit.

L’André Verdier qu’elle choisit était un industriel de trente-cinq ans, associé à une vieille firme en renom (on vieillit vite à Paris !) de fabrique d’automobiles. Il avait su en dix années faire sa pelote, en guettant l’heure de lancer sa firme propre, dont le premier soin serait de couler à fond la vieille maison, qui l’avait formé et nourri. C’était un beau garçon, aux yeux bleu clair, traits réguliers, souriant, aimable et accueillant, — prodigieusement indifférent. Il plaisait beaucoup aux femmes. Comment Bernadette lui plut-elle ? Il n’aurait eu qu’à jeter le mouchoir, pour que la plus belle et la plus cossue le ramassât. Ce fut la revanche, pour Bernadette, de l’orgueil du corps blessé. Il lui fallait conquérir cet homme, puisqu’un autre homme l’avait dédaignée. Elle n’était rien moins que belle, — maigre et noiraude — mais elle était grande et souple, et elle savait faire valoir ses laideurs, au goût du jour,

« … la maigreur élégante
De l’épaule au contour heurté,
La hanche un peu pointue et la taille fringante
Ainsi qu’un reptile irrité… »

Le Verdier, qui se connaissait en femmes, lut sur la bouche de celle-ci, mince et crispée sous le fard, la promesse de nuits sans ennui, — et, dans ses yeux gris-de-fer froids et précis, le gage de jours actifs comme les nuits, mais labourant un autre champ. Il ne leur fallut pas longtemps à tous les deux pour s’entendre sur une mise en valeur, fructueuse et réglée, de la vie. Et la ronde dot, que Sylvie assurait à sa pupille, acheva de compenser sa laideur. L’affaire fut