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avait été Bernadette Verdier, née Passereau : (car elle avait changé de nom d’oiseau), la fiancée manquée de Marc[1].

Lorsque Marc s’était marié, elle avait fermé les volets sur sa déception. Nul n’en avait rien vu, même Sylvie, qui la connaissait et qui s’attendait à son chagrin. Elle montra une admirable indifférence. Sylvie en fut presque courroucée. Elle eût voulu que l’autre souffrît, que l’autre gémît, pour l’associer à son dépit. Mais Bernadette la laissait seule se dépiter ; et la situation de Sylvie était ridicule. Elle ne pouvait pourtant pas jouer, pour son compte, le rôle de la fiancée dédaignée ! Elle en voulut à Bernadette, presque autant qu’à Assia. Elle l’appela :

— « Cruche ! »

Mais Bernadette ne se troubla pas. Pas un instant, elle ne se départit de son froid sourire. Elle ne jouait, point pour la galerie. Elle n’aurait pu dire exactement pourquoi elle était ainsi, ni si c’était une attitude de défense. Elle ne cherchait pas à savoir ce qui se passait en elle. Oui, elle avait, par moments, une atroce pinçure au cœur, et, le reste du temps, un ennui mortel sous lequel étaient tapies dans le rocher, au fond du trou, de petites têtes dures, triangulaires, un nœud de pensées, de longues formes enroulées, aux yeux féroces : il valait mieux ne pas remuer les pierres !… On vit, on vit. Il s’agit de vivre sur le seul plan qu’une Bernadette juge admissible : la vie raisonnable et pratique. Il n’y a pas de sens à s’éterniser sur des regrets. Et quant aux rancunes, on ne bâtit pas sur les rancunes ; mais on bâtit ; et dans le coffre aux habits, on plie sous le camphre les rancunes : elles peuvent attendre. Bernadette avait, du même pas, poursuivi

  1. L’Annonciatrice, — tome I.