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côte à côte, travaillant, ils monologuaient, l’un bouche ouverte, l’autre bouche fermée, chacun tirant de son côté. Le mouvement précis des doigts occupés n’empêchait point la sape des soucis dans le cœur.

Assia, expulsée, chassée, niée, rentrait dans la chaude maison de ce corps, que le suc ardent de ses baisers n’avait jamais quitté. Elle le brûlait dans tous ses membres, muette, pesante et gonflée, comme une fluxion. Il n’aurait pu évoquer ses traits ; il la sentait diffuse dans sa tête, dans son ventre, dans le frémissement de ses mains, et sur la sécheresse de sa langue. Et parfois, il tressautait, d’un son de voix ou d’un contact qui le laissait béant, livré et bouleversé, comme une boussole affolée. Il lui fallait tendre son énergie pour resserrer sa raison relâchée. Mais sa raison alors devait, pour se rendre maîtresse de l’objet, l’arracher de soi, le prendre aux épaules, le dévisager, lui dire : — « Tiens-toi là ! On n’entre pas !… » C’était alors qu’on avait le temps de se regarder, du haut en bas ! Mais le regard de Marc, transpercé d’un choc électrique, retombait, n’osait se relever au-dessus du menton : car il se sentait scruté par ces yeux, et il ne voulait pas avoir l’air de les fuir ; et par bravade, il dévorait des yeux ce corps ennemi, et il tremblait de ne pouvoir le ployer sous lui. Ce n’était pourtant plus l’orgueil blessé des premiers temps, la jalousie qui veut se venger. Le plus fort de la crise était épuisé. Il recommençait, le front, la bouche, les yeux collés à ce torse sans tête (il ne voulait pas voir la tête), à s’imbiber de l’odeur fauve de ce corps, à s’y dissoudre comme en ces nuits où ils ne faisaient qu’un, à perdre son moi pour retrouver, au fond de ce puits, le moi de l’autre et ses pensées. Et voici qu’il touchait de la pulpe de ses doigts les raisons — les raisons justes — de la trahison de Assia. « Justes » et « trahison » : ces deux mots s’entrecho-