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— « Chez une nature brave et sincère, comme est la vôtre… »

— « Qu’en savez-vous ?… Qu’en sais-je moi-même ? »

— « Je le sais pour vous… Chez vous, si un tel duel d’âme est possible, s’il est durable entre les forces, entre les dieux intérieurs, qui s’enveloppent de nuées et d’éclairs, c’est qu’il est une heure nécessaire du grand combat, de l’Iliade qu’écrit et livre l’humanité. Et plus les coups portés et reçus sont douloureux, plus l’héroïque nécessité du combat s’affirme. »

— « Mais si j’y meurs ? »

— « Meurs, mon petit ! Stirb und werde ! (Pardon de vous avoir tutoyé !) »

— « Non, je vous en prie ! Je vous dis merci… »

Il mit, d’un geste impétueux, sa main sur mon genou et le serra, de ses doigts tendres et durs, puis la retira, comme honteux…

— « Je veux bien mourir. Je n’ai pas peur. Je ne demande que cela !… Mais je ne voudrais pas mourir sans utilité. Pas pour moi-même ! Pas pour moi seul ! Pas pour me sauver, comme ces lâches, ces égoïstes de la religion et de la pensée !… »

Et je conçus pour lui un grand amour… Je lui pris la main :

— « Ne t’inquiète pas ! L’heure viendra. Tu te sacrifieras pour les hommes. L’occasion, en notre temps, ne manque pas. Sois patient ! Elle viendra. Attends ! Sois prêt !… »

Il s’était levé, et je me levai. Il aurait voulu parler, il ne le put. Mais sa main, dans ma main, parlait pour lui. Il me jeta un regard de jeune fille, qui remercie, effarouchée. Et il partit.

Je ne l’ai plus, depuis, jamais revu qu’une fois, de