Mais Annette, les regardant avec tendresse, serra dans ses mains les deux têtes, et dit, hochant le menton, souriant et soucieux :
— « Mes pauvres petits… Ne mangez pas tout votre blé ! Gardez-en pour la mauvaise saison ! »
Elle savait bien qu’ils ne l’écouteraient pas. Elle s’en alla sur la pointe des pieds. Elle était triste et heureuse. Elle voyait trop l’avenir. Mais c’était une belle chose qu’ils eussent ce présent ! Autant de sauvé ! Elle veilla à ce qu’il ne fût point troublé. Sans le leur dire (Assia le sut, après ; Marc, insouciant comme un homme, ne le sut jamais), elle s’occupa de leur ménage, en ces semaines d’égarement où il leur semblait tout naturel que leur ménage se fît de soi-même, sans qu’ils eussent à s’en occuper. Elle était leur femme de journée, arrangeant tout, invisible et muette. Lorsque Assia commença à émerger de la griserie qui la noyait, et que sa tête alourdie, faisant effort pour se dégager, tendit l’oreille au frôlement de l’ombre active qui allait et venait dans sa maison, son amour-propre se réveilla, peut-être avant la gratitude : (les amoureux trouvent naturel que le monde les serve, à pieds baisés). Elle retrouva l’usage de ses jambes, pour aller revendiquer son gouvernement domestique. Annette, qui balayait la salle à manger, la vit entrer, pieds nus, en chemise, et les yeux écarquillés, comme une petite chouette sortie de sa grange, qui se trouve brusquement au soleil. Elle rit, laissa tomber son balai, et courut la prendre dans ses bras. Assia sérieuse — elle n’avait pas encore émergé jusqu’au rire — se laissait embrasser, comme une princesse qui condescend et, sur les genoux d’Annette, assise, elle l’étudiait gravement en lui tenant le menton. Appuyant le pouce sur la joue, elle lui faisait tourner le visage, pour examiner le profil. Puis, elle prit les deux joues entre ses doigts et lui